Cette page
est une annexe à la page : Victoires aériennes - Chasse française -
1939/1945
faisant
partie du domaine : GROUPE DE CHASSE GC III/6
(3/6)
du SITE PERSONNEL de FRANÇOIS XAVIER BIBERT
L’album familial du colonel
Henri LIAUTARD (extraits)
GC I/8 – GC I/4
merci à Yann Thery, son petit-fils,
pour les documents et à
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1935 –
Morane Saulnier 147 n°104 "F-AJXY" de la Compagnie Française
d'Aviation Henri LIAUTARD
- Préparation du brevet de pilote |
Vers 1936
- Sans doute à Marignane ou stationnait le GC I/8 Blériot
5190 "Santos Dumont" "F-ANLE" d'Air France |
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Fanion de
la 1ère escadrille du GC I/8 - Traditions 3C2 Marignane puis Hyères - 1935/1939 |
D.510
sans doute de de la 1ère escadrille du GC I/8 Vers
1938/1939 |
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Henri LIAUTARD avant la guerre |
Le sgt/c Henri LIAUTARD en juin 1940 – Croix de guerre |
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BLOCH 152
n°236 codé"2" immatriculé "Y-723" - 2°escadrille du GC
I/8 Accidenté
le 20 avril 1940 par casse du train - Pilote : s/lt
LAMAISON Détruit le 27 mai 1940 : abattu par un
109, pilote adj. CASTEL parachuté, blessé. |
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Henri
LIAUTARD, au centre, pendant la campagne de France |
Henri
LIAUTARD, à droite, pendant la campagne de France Devant
l’échelon roulant prêt à partir vers un nouveau terrain... |
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GC I/8 -
Claye-Souilly – 8 juin 1940 La tente
PC de la 1ère escadrille dévastée par un bombardement Henri
LIAUTARD au centre à côté de Cdt Pierre COLIN Collection |
Lire un récit
de guerre d’Henri LIAUTARD : « COMBATS
DANS LE CIEL ET RETRAITE AU SOL »
Les
insignes des deux escadrilles du GC I/8 – Traditions 3C2 « Trident ailé
avec nœud marin » et 3C3 « Lion Bondissant » (ex 4C1 de l’aéronautique navale)
LE
GC I/8 en 1939/1940
... et les 4 victoires d’Henri LIAUTARD
Extraits d’ « Aérojournal
n°34 » - Christian-jacques EHRENGARDT
Le GC I/8 gagne le terrain de Hyères dès la mobilisation. Formé
par la réunion de deux anciennes escadrilles de l'Aéronautique navale
(escadrilles 3C2 et 3C3, transférées en 1936), ce groupe a pour mission la
coopération avec les forces navales. Pour ce faire, il est alors équipé de 16
Dewoitine 501 et 8 Dewoitine 510 ! C'est dire si sa transformation sur matériel
moderne est urgente. Le 20 novembre arrivent les trois premiers Bloch 152.
L'hiver est consacré à l'entraînement et ce n'est que le 11 mars que le I/8
gagne le terrain de Cherbourg pour participer à la protection des convois en
partance pour la Finlande. L'armistice signé le 13 entre la Finlande et l'URSS
amène l'état-major à reconsidérer la situation du groupe qui est envoyé à la
fin du mois à Velaine-en-Haye, où il est rattaché au Groupement n° 22. En fait,
le I/8 ne sera pas engagé une seule fois avant le 10 mai. La grande bagarre
débute d'une manière inattendue : touché par un Morane du I/2, un
He 111 se pose train sorti sur la piste de Velaine
! La journée commence plutôt bien, puisque le sous-lieutenant THOLLON et le
sergent-chef LIAUTARD se partagent
un He 111. Elle va toutefois s'achever plus tragiquement. Engageant des
He 111, une patrouille se fait surprendre par des Bf 110.
Le capitaine ASTIER, commandant la 2e escadrille, est descendu et tué au cours
d'un combat acharné près de Jaulny Des témoins au sol ont vu un Bf 110 tomber en flammes, mais ASTIER sera
officiellement crédité d'un Do 17. Le I/8 perd en tout quatre appareils au
cours du premier jour de la campagne.
Nouvelle dure journée le 11 mai. La patrouille commandée par le
sous-lieutenant THOLLON tombe sur une cinquantaine de He 111. Attaqué par
les Bf 109 de l'escorte, THOLLON ne peut
s'assurer du résultat de son attaque; cependant, « son » He 111
lui sera homologué, en collaboration avec le sous-lieutenant FLANDI et deux
pilotes du GC III/7. La participation de FLANDI à ce combat est
discutable, celui-ci ayant été rapidement séparé de son chef de patrouille,
avant d'être abattu et tué par la chasse allemande.
Le 12 mai, le I/8 déménage pour le terrain de Courbes, près de La
Fère, un vague pré sans aucun aménagement. Le groupe est désormais rattaché au
Groupement n° 23. Le 14 mai, il est engagé avec les I/3 et III/7 en protection
des bombardiers qui cherchent à détruire les ponts allemands sur la Meuse de
Sedan, notamment des Amiot 143. La chasse française ne peut intervenir
avec efficacité, occupée qu'elle est à en découdre avec les Bf 109.
Sérieusement touché, l'adjudant CHOULET doit effectuer un atterrissage de
fortune, mais son chef de patrouille, le sous-lieutenant Gouachon-Noireault,
réussit à abattre l'un des agresseurs. Le 15 mai sera l'une des journées les
plus chargées pour le I/8, mais elle s'achèvera dans la joie. Elle commence par
un décollage sur alerte, sus à un Dornier de reconnaissance. Tandis que son
équipier sert de cible à la DCA française, THOLLON rattrape le bimoteur et
l'envoie capoter près de Dinant.
Vers 11 heures, 10 Bloch répartis en quatre patrouilles se
heurtent à deux formations de Bf 110, escortées
par des Bf 109. La mêlée est générale et, comme
souvent en pareil cas, confuse. Il en ressort que trois Bf 110
(s/lt LAMAISON, adj CASTEL et c/c KRALIK à Revin, Adj
MICHAUD à Renvez, s/c LIAUTARD à Renvez) et un Bf 109 (s/c LOUVEAU à Charleville) sont revendiqués
par les Français, qui ne perdent ni un pilote ni un avion. Ce ne sera
malheureusement pas le cas le lendemain. Ayant engagé un peloton de Do 17
et de He 111, l'adjudant CHOULET est mis en flammes par les Bf 110 de l'escorte. L'appareil percute près de
Versigny, ne laissant aucune chance au pilote. Maigre consolation, le
lieutenant BOUYSSE rentre avec une victoire, le Bf 110
s'écrasant à la lisière du terrain. Dans la journée, le I/8 quitte
précipitamment Courbes et se replie sur Chantilly.
Le 17 mai, lors d'une mission d'escorte de LeO 451
qui se déroule dans les pires conditions qui soient (livrés à eux-mêmes à la
suite d'une totale incompréhension des chasseurs, les bombardiers se font
tailler en pièces par les Messerschmitt), le sergent DUPOUY est porté disparu.
Son corps, éjecté de l'avion, sera retrouvé quelque temps plus tard. Dans la
soirée, la patrouille du capitaine PEYRÈGNE s'offre deux Hs 126, (cne PEYRÈGNE et c/c SIKA à La Capelle - cne
PEYRÈGNE et c/c SIKA à Trelon) et un He 111 en
prime (s/lt TANGUY et s/c LIAUTARD à Ribemont)! Le lieutenant ZEROVNICKY ne rentre pas non
plus. Descendu par la Flak, il rejoindra son groupe
quatre mois plus tard, quatre mois qu'il passera caché dans une ferme.
La dernière sortie de la journée du 18 mai permet au I/8
d'engranger deux victoires supplémentaires, un Do 17 (lt
BOUYSSE, cdt AMBROGI, s/c CORRIN à Cambrai) et un
HS 126 (cne CALMON en collaboration avec un
pilote du I/1 au Quesnoy). Il perd le caporal-chef KRALIK, descendu par des Bf 109 près de Douai. Il regagnera son unité trois
jours plus tard.
Le 19 mai, le potentiel du groupe tombe au plus bas et ce ne sont
pas les avions reversés par les écoles qui l'améliorent. Une patrouille double
légère (4 avions) prend contact vers 05h 40 avec une vingtaine de
Do 17. Le sous-lieutenant RUBY, emporté par son élan, arrache l'empennage
d'un Do 17 qui se met aussitôt en autorotation avant de s'écraser à Montepilloy. Malheureusement, un sort identique attend
RUBY, mais il est probable qu'il ait été tué ou mortellement blessé lors de la
collision.
Le 20 mai, pendant qu'une patrouille tient les Bf 109 en respect, une autre s'occupe d'un peloton de
Ju 87, le lieutenant DECASTELLO en abat un à Jussy en Combe. Pendant
l'engagement, le lieutenant tchèque NAVRATIL est touché et doit sauter en
parachute. En fin d'après-midi, le I/8 est muté à Claye-Souilly.
Les quatre jours suivants sont plus calmes, le 22 le groupe
n'effectuant pas une seule sortie. Les affaires reprennent le 25 mai. Une
patrouille double se heurte à une formation de Do 17. Le sergent-chef
CORRIN et le sous-lieutenant GOUACHON-NOIREAULT se partagent un Dornier qu'ils
abattent à Amiens avec un minimum de munitions. Un autre est homologué au même
endroit à cinq pilotes (cne CALMON, s/lt GOUACHON, s/c LIAUTARD,
s/c MAUREL et c/c SIKA).
RAS le 26 mai. Le lendemain, une patrouille est surprise par un
groupe de Bf 109 qui plonge sur elle soleil dans
le dos. Le Bloch 152 du caporal-chef KRALIK explose en vol, entraînant son
pilote dans la mort. L'adjudant CASTEL, qui essaie de dégager le
sous-lieutenant GOUACHON-NOIREAULT qu'un 109 a pris en chasse, est sérieusement
blessé par une rafale. Il perd conscience et il est éjecté de son avion. Par
chance, son parachute s'ouvre automatiquement. Il est sauvé, mais la guerre est
finie pour lui.
Du 28 mai au 2 juin, il ne se passe pas grand-chose, une
trentaine de sorties, toutes infructueuses.
En revanche, le ciel s'anime le 3 juin, jour où les Allemands
déclenchent l'opération « Paula » contre la région parisienne. Déjà,
le matin, THOLLON a engrangé un 109 à Roye lors d'une protection d'un Potez
63.11. L'après-midi, c'est le branle-bas de combat. Tandis que des bombardiers
allemands prennent le terrain de Claye-Souilly en enfilade, les sergents-chefs
CORRIN et MAUREL, voulant décoller en catastrophe, se retrouvent en un point de
convergence et se télescopent, heureusement sans conséquence grave. THOLLON,
encore lui, et un pilote du I/3 abattent un Ju 88 à Cocherel. Deux Bloch
152 sont endommagés dans la bagarre et pour couronner le désastre de la
journée, le lieutenant DECASTELLO se tue en testant un avion neuf.
Le 5 juin, les armées allemandes passent à nouveau à l'offensive.
Deux missions menées simultanément, l'une pour protéger un Potez 63.11, l'autre
pour couvrir le secteur Péronne-Ham, s'achèvent dans un même combat contre des Bf 109 et 110. Trois 109 sont revendiqués par les
Français : l’adjudant-chef NICOU qui obtient un doublé en l'espace de 20
secondes au-dessus d’Amiens, le s/c LOUVEAU à Pont Sainte-Maxence et le s/c
MAUREL) et un 110 (s/c MAUREL). Deux avions sont perdus, mais pas de pilote. Le
sergent-chef LOUVEAU, sérieusement malmené, doit prendre quelques jours de
repos.
Le 6 juin est la dernière grosse journée pour le I/8, avec 24
sorties et cinq victoires sûres (s/lt THOLLON ;
un Do 17 à Amiens, s/c PRCHAL ; un Bf.109 à Amiens, c/c SPACEK ;
un Bf 109 à Chaulnes, s/lt
THOLLON, s/c PRCHAL et cne SPACEK ; un
Do 17 à Chaulnes, cne PEYRÈGNE et s/c
CORIN ; un Do 17 à Chaulnes). Malheureusement, le commandant en
second du groupe, le capitaine PEYRÈGNE, pourtant victorieux, est tué en
attaquant un peloton de Do 17.
Après un bombardement qui détruit le PC du groupe le 7 juin. Ce
même jour une victoire est attribuée au s/c PRCHAL sur un Hs 126 à Amiens.
Le lendemain le I/8 s'installe à Brétigny-sur-Orge.
Le 9 juin une nouvelle victoire est attribuée au s/lt LAMAISON sur un BF 109 à Rouen.
Le 10 juin, six Bloch 152 mitraillent des pontons sur la rive
nord de la Seine près des Andelys. A part quelques éclats récoltés de ci de là,
les chasseurs s'en sortent indemnes.
Le 11 juin, le groupe emménage à Césarville,
un champ informe près de Pithiviers. Il n'y reste pas longtemps, car le 14, il
est envoyé à Châteauroux. Revenant d'une expédition sur Nancy, le caporal-chef
SPACEK est abattu par des... paysans armés de simples fusils et de pistolets !
Il s'en tire indemne, mais parlant un français très approximatif, il éprouve
toutes les peines du monde à faire comprendre qu'il n'est pas allemand.
Le 15 juin nouvelle victoire, pour le s/lt
THOLLON qui abat un Ju 88 à Jargeau.
À partir du 17 juin, les replis se succèdent à grande vitesse. Le
20 juin, le sous-lieutenant PORODO remporte la dernière victoire du groupe sur
un He 111 à Corme, mais peu après, il est victime d'une collision en plein
vol avec le sergent-chef STARKE du GC I/1. Ce dernier est tué, mais une
bonne étoile veille sur PORODO. Tout ce dont celui-ci se souvient, c'est d'un
grand choc, une boule de feu, et la seconde suivante, il s'est retrouvé au sol,
encore sanglé à son siège !
Le 24 juin, veille de l'entrée en vigueur de l'armistice, le I/8
stationne à Toulouse. Le 11 novembre 1942, les Allemands envahissent la zone
libre. Trois jours plus tard, le I/8 est redéployé à Châteauroux, base sur
laquelle il est dissous en même temps que toute l'armée de l'Air de
l'armistice, le 1er décembre 1942.
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2 profils
de Bloch 152 du GC I/8 en 1940 n°212 (Y-699)
de la 1ère escadrille - Adjudant DANIEL n° 196
(Y-683) de la 2ème escadrille - Adjudant-chef GILLES « Aérojournal n°34 - P-A. Tillet » |
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Les pilotes
du GC I/8 juste après l'armistice Collection |
Les
insignes des deux escadrilles du GC I/4 – SPA 95 et SPA 153
|
Trois Les trois
appareils ont un nom de baptême, celui d’un pilote tué en 40, tout au moins
dans deux cas. Le n°301,
codé 2, a reçu le nom lt WEIS ( Le n°311
codé 3, celui du lt STIQUEL ( Le n°291
codé 7, celui de l'a/c LE GALL : peut-être un mécanicien tué à Dunkerque ? |
Le
sergent-chef Jean LOUVEAU était pilote sur Bloch 152 en 1939/1940 dans la
première escadrille du GC I/8
C’était
un grand ami d’Henri LIAUTARD, son chef de patrouille.
Dans les années 1970, alors
colonel en retraite, il a écrit ces quelques lignes :
« Je vais peut-être surprendre certains de ceux qui liront ces
lignes pour qui les pilotes de chasse de la dernière guerre étaient des
« chevaliers de l'air » entrés tout droit dans la légende et les
images d'Epinal. Ce n'est pas tout à fait exact ou, pour être plus précis, ce
n'est qu'une partie de la vérité. S'il ne s'agissait, en effet, que de
« raconter des coups », de faire un récit fidèle de divers combats
aériens, je n'écrirais pas ces quelques lignes...
Je voudrais seulement essayer, à partir des expériences qui furent
les miennes, de tirer la morale de cette histoire de feu et de sang qui nous a
conduits, quelques centaines que nous étions, face à un ennemi dans les airs à
la fois plus nombreux et mieux armé.
Je voudrais parler de la colère et, pour commencer, évoquer une
aventure que j'ai vécue moi-même et qui a le mérite d'illustrer mon propos.
Nous avions décollé, à deux patrouilles de trois Bloch 152, le 5
juin 1940, au matin, du terrain de Thieux, près de Meaux. Il s'agissait de
protéger un Potez 63 chargé d'une mission photo dans le secteur de Ham-Péronne.
Il ne sera pas nécessaire de donner ici une infinité de détails.
Précisons seulement que le rendez-vous était fixé à 9h 15 à 4 000 m.
au-dessus de Villers-Cotterêts. A peine à 600 mètres d'altitude, notre ailier
droit fut obligé de rentrer à la suite d'ennuis mécaniques, et nous avons
poursuivi la mission a deux pour la patrouille d'accompagnement serré.
Le Potez avait pris ses photos et nous rentrions - j'allais dire
« tranquillement »... – lui, LIAUTARD
et moi lorsque soudain, à la verticale de Compiègne, le Potez se met en piqué,
un piqué très accentué : 70 degrés peut-être. Le mitrailleur, que je vois
passer devant moi, me fait avec sa mitrailleuse un signe que je ne comprends
pas. Aussitôt naturellement, le chef de patrouille LIAUTARD et moi nous mettons en piqué pour suivre notre
« protégé » et presque tout de suite mon Bloch est sonné.
Je pense d’abord à la Flak Je dégage sur
la droite et je constate que mon aileron est bloqué. Une deuxième rafale
m'atteint alors dans la queue. Je comprends vite que ce n'est pas la Flak ; j'ai quatre Messerschmitt 109 derrière moi et
un de plus devant. C'est la première fois que nous rencontrons les nouveaux
types de Messerschmitt 109, avec leur nouveau moteur qui leur donne 100
kilomètres/heure de mieux.
Je tente une chandelle. En forçant, je réussi à débloquer mon
aileron... enfin, presque : le gauchissement fonctionne bien à droite,
mais mal à gauche. Nous sommes maintenant en plein combat tournoyant. Pendant
trois ou quatre minutes peut-être, je vois passer dans mon collimateur
plusieurs fois des Messerschmitt à qui j'expédie des rafales aussi ajustées que
je le peux. Mais j'en ai pris moi-même assez pour ne plus pouvoir les inquiéter
beaucoup.
Quatre ou cinq rafales déjà, sans doute, et toutes au but. Alors je
me mets en glissage à droite. Et je dégage en rase-mottes au cap 240.
Naturellement, j'ai perdu LIAUTARD
et le Potez : le pauvre ne pourra plus compter sur ma protection...
Alors un Allemand revient sur moi. Je suis « plein pot »,
badin bloqué à 400. Le Fritz ne me lâche pas. Comme il est beaucoup plus rapide
que moi, il m'ajuste comme à l'exercice, me tire, puis me dépasse et revient en
arrière pour une nouvelle passe. Treize en tout, je les ai comptées. Et il me
touche à peu près à chaque fois.
Pendant une bonne dizaine de minutes — et c'est horriblement long,
dix minutes de gymkhana entre les arbres, les églises, les lignes de force dans
ces conditions ! — je réussis à éviter la rafale qui va m'achever.
Virages, manche au ventre, glissade, virage... Trois fois de suite, j'ai même
pu le tirer aussi. Mais à sa douzième passe, un de ses obus fait mouche.
L'huile coule à flot... et le sang aussi.
Quand le Fritz repasse pour la treizième fois, il fait exploser ma
bouteille d'oxygène, pulvérisant le pare-brise. Cette fois, je suis presque
aveuglé. Il ne me reste plus qu'à me poser, droit devant moi, avec une chance
sur mille peut être de m'en tirer.
A cet instant, il s’est passé en moi quelque chose qui explique et
qui justifie, je l’espère, ce récit, trente ans après. Jusqu’à cet instant
précis, j’étais un pilote entraîné, un homme qui se battait parce que c'était
son métier. Je ne dis pas que je n'avais pas une certaine haine contre les
Allemands et surtout les nazis. Je ne dis pas que j'avais fait jusqu'alors la
guerre en dilettante : sûrement pas ! Mais enfin je l'avais faite
avec le maximum de sang-froid, puisque le sang-froid est aussi une arme indispensable.
Jusque-là, chaque mission, chaque combat était pour moi un duel contre un
adversaire souvent plus nombreux mais à ma taille.
Tandis que là, à quelques dizaines de mètres au-dessus de la terre
de France, je me suis tout à coup mis en colère. Je n'ai pas eu le temps d'y
réfléchir, bien sûr, sur le moment. Mais je peux, aujourd'hui, dire honnêtement
que j'ai porté en moi toute la rage de la France envahie.
J'ai vu passer au-dessus de moi le ventre du Messerschmitt.
J'allais mourir, soit. Mais pas tout seul. Et puisqu'il fallait mourir, puisque
tout à l'heure, il y aurait de toute façon un pilote français de moins et un
avion, il y aurait aussi un avion et un pilote allemand de moins.
J'ai tiré le manche à fond. J'espérais au moins que mon hélice lui
couperait ses gouvernes. Le choc eut lieu et j'ai pris sa roulette de queue
dans mon cockpit. Il ne me restait plus qu'à rendre la main pour me poser droit
devant, train rentré, moteur calé, à 250 à l'heure...
Par miracle, je m'en suis tiré. Au-dessus de moi, le Messerschmitt
effectuant une sorte de renversement est repassé une dernière fois et j'avais
peur qu'il ne me tire comme un lapin. Mais non. Il disparut en piqué et à
grande vitesse.
Je suis sorti de mon avion non sans peine le plus vite possible, et
j'ai appelé une brave femme qui fauchait un pré à 100 mètres de là.
« Madame ! Madame ! »
Mais je devais être horrible à voir, avec mon visage couvert de
sang et d'huile bouillante. Epouvantée, elle est partie en courant rani. J'ai
marché jusqu'à la route, d’un pas assez mal assuré. J’ai rencontré un officier
qui a tiré son révolver en me voyant. J’ai tenté de me présenter.
C’était un officier du génie, qui m’a conduit à Méru, dans l'Oise,
où un médecin militaire m'a extrait tout de suite quelques éclats d'obus, qui
avaient traversé mon casque. Je n'étais pas très en forme - c'est le moins
qu'on puisse dire... - et |e n'ai peut-être pas manifesté tout l'enthousiasme
qu'on pouvait attendre lorsque la porte s'est ouverte sur un capitaine de
gendarmerie très excité, qui criait : « J'ai trouvé un Allemand ! Il
est à 3 kilomètres d'ici et l'avion a brûlé ! » Pour preuve, il rapportait
l'un des gants du pilote ennemi abattu.
Avec mes pansements tout neufs et les idées encore un peu floues,
je suis retourné voir mon avion, Des trois couleurs de la dérive, il ne restait
que le bleu. Il y avait des impacts de mitrailleuse un peu partout - une
centaine au bas mot -, dont deux dans le blindage qui m'avait sauvé la vie, et
une balle dans mon parachute, plus une quinzaine de trous d'obus, dont deux à
côté de mes chargeurs d'obus pleins, une dans la cocarde de fuselage et... une
tête d'obus dans la poche de ma combinaison. Et la commande de profondeur était
presque entièrement sectionnée.
LIAUTARD, m'ayant vu descendre et peu
après ayant aperçu un avion français exploser au sol - c'était le malheureux
Potez -, était rentré au terrain en annonçant ma mort.
Le lieutenant Thollon fit ce qui se
devait, c'est-à-dire qu'il invita tous les pilotes à un pot le lendemain à ma
mémoire. Cependant, au même moment, j'arrivais, après un voyage mouvementé,
d'abord sur la moto d'un adjudant-chef, puis en side-car, enfin en charrette à
cheval.
Je rentrais sous la tente des pilotes à l'instant même où les
verres se levaient en l'honneur de ma mort.
Ensuite, très déprimé, j'ai pleuré toute la nuit et le capitaine Peyrègne, commandant la première escadrille, qui devait
disparaître en mission quelques jours plus tard, m'envoya à Paris avec LIAUTARD pour une mission un peu
théorique, destinée officiellement à chercher je ne sais quelle dotation en
parachutes. En vérité, nous avions grand besoin de nous changer les idées.
Lorsque le général Vuillemin me décerna la Médaille militaire,
j'avais retrouvé mes esprits, assez pour taire le point et juger les événements
sans passion. J'ai pensé — et je pense encore aujourd'hui — que je l'ai sans
doute mieux méritée au-dessus de Château-Thierry, le jour où, avec un seul
équipier tchèque, l'ai rencontré trente Dornier 17 escortés par quinze
Messerschmitt 110 et que nous les avons attaqués par deux fois.
Ce jour-là, ce n'est pas ma faute si nous nous sommes trouvés deux
contre tant d'autres et si nous sommes rentrés sans une victoire. Je ne crois
pas nécessaire de détailler ici tout ce que j'ai vécu aux commandes de mon
Bloch pendant la guerre de 1939-1940. Mes souvenirs sont sans doute assez
proches de ceux de bien d'autres.
Au terrain de La Fère-en-Tardenois, par exemple, entre Toul et
Nancy, j'ai vu fabriquer par les mécanos des boîtes destinées à réchauffer les
armes de nos avions, qui gelaient en altitude, en récupérant les gaz
d'échappement... J'ai vu - c'était au début de la guerre à Châteauroux - cent
cinquante avions tout neufs qui n'ont peut-être même pas pris l'air... J'ai
failli être écharpé par des civils, alors que j'étais ramené au terrain après
avoir été abattu, parce que les aviateurs étalent, pensait-on, des planqués :
on n'en voyait jamais en l'air... Heureusement, j'étais blessé, et cela nous a
sans doute permis de poursuivre notre route.
J'ai vu en mai 1940, à Châteauroux, alors que nous venions par le
train de Nancy chercher trois Bloch 152 neufs, un officier mécanicien proposer
à mes deux équipiers tchèques des avions incomplets, l'un sans collimateur,
l'autre sans mitrailleuse. Tout cela est anecdotique. Mais ce que je tenais à
dire... je l'ai dit en commençant, c'est la colère.
Peut-être avec les années, certains d'entre nous ont-ils oublié.
Mais cette guerre, que nous avons commencée calmement, nous l'avons finie
portés par la rage.
Souvent, à mesure que passaient les semaines, il nous arrivait de
deviner, de sentir d'Instinct ceux qui, parmi nous, allaient bientôt tomber. Ce
n'était pas un pressentiment, je ne sais quelle « voyance ». C'était
la simple logique.
Ceux qui tombaient étaient, bien sûr, les moins entraînés. Mais
aussi les plus âgés, les hommes mariés et pères de famille, qui n'accrochaient
pas assez, qui étaient trop prudents, trop calmes peut-être. Les autres, les
survivants, les plus jeunes, étaient ceux qui, comme moi, avaient commencé la
guerre un peu comme des fauves, sans responsabilités familiales.
Je n'avais déjà pas compris, pas accepté Munich. Mais plus le temps
passait, plus nous perdions d'avions et de camarades ; plus nos bases
reculaient vers le sud et plus nous étions en colère. Plus nous devenions
méchants, donc dangereux. Au moment de l'armistice, nous avons mitraillé
encore, sans ordres, des automitrailleuses allemandes près de Royan, sur les
routes. Et nous avons abattu notre dernier Fritz à Bordeaux, juste avant le
cessez-le-feu.
Personne ne m'ôtera jamais de l'idée que je dois d'être sorti
vivant de cette bataille perdue à ma colère - une colère qui d'ailleurs m'a
conduit, tout naturellement, dans la résistance, la déportation et qui m'a
encore, sans doute, permis d'en revenir. »
Colonel Jean
LOUVEAU
Ne pas oublier de lire ces
quelques souvenirs du lt/colonel LIAUTARD écrits en
1970 :
Cliquez sur le lien ci-dessous
par le
lieutenant-colonel Henri Georges Eugène LIAUTARD
Revue Icare °55 – 1970
(pages 94 à 98)