Métier et Performance
« … il ne suffit
plus que de ne point déplaire … »
Discours imaginaire
tout préparé à l’usage d’un Vieux Sachant qui n’aurait pas envie de ne dire que
quelques banalités lors de son pot de départ en retraite !
Toute analogie avec
des personnes ayant pu exister ne serait que le fruit d’un malheureux concours
de circonstances…
« … le cœur
donne accès à l’intuition, à la créativité, à la tolérance et à
l’humour… » ( Meyriem Le Saget)
POUR REVENIR A LA
PAGE D’ACCUEIL
« Si, en plus de vos compétences, vous aviez su gérer la
fluidité de vos relations, vous seriez Directeur Général ! » m’a
déclaré avant de voguer vers une nouvelle promotion ou un placard aménagé, je
ne sais plus bien, le dernier vrai chef que j’avais eu plaisir à servir pendant
quelques années et pour qui je serais resté planté sur les voies ferrées devant
la locomotive qui arrivait s’il m’en avait fait la demande, tellement je le
respectais.
Certes, j’étais suffisamment clairvoyant et conscient de mes forces
et de mes faiblesses pour comprendre le pourquoi de cette affirmation et en
avoir admis depuis longtemps les conséquences pour moi, mais je vais quand
même, pour vous, tenter d’en décrypter le sens profond.
Bien sur, je pourrais seulement dire : « Je suis comme
cela, mais au moins quand je me regarde dans la glace le matin en me rasant,
j’ai en face de moi l’image d’un gars plutôt sympa qui n’a pas à rougir de ce
qu’il est et Machin ne peut pas en dire autant ! ». Mais depuis qu’un
ami perspicace m’a dit que je me faisais des illusions et que Machin se rasait
aussi et qu’il était sans doute encore plus fier que moi et Narcisse de
contempler son admirable image, j’ai laissé pousser ma barbe et j’ai quelques
doutes sur la nature humaine ! Il faut donc développer.
D’abord cette fluidité n’est pas indispensable envers les
meilleurs. Ils sont parfaitement capables de comprendre que la rigueur est un
mal nécessaire pour les « Hommes de Caractère » qui se contraignent à
assumer pleinement leurs responsabilités.
Tous ceux là diront un jour, comme dans les autres entreprises où
j’ai œuvré précédemment : « Il n’était pas toujours commode, il ne
faisait pas dans la dentelle, son franc parler était décapant, mais il
connaissait le métier, il respectait les gens et surtout, il était juste avec
eux ! Il savait qu’à la base de toute activité industrielle il y a d’abord
des opérationnels (puisque c’est un péché aujourd’hui que d’employer le beau
mot d’ouvrier) dévoués et peu payés, qui affectionnent leur travail et se
secouent les tripes sans compter. C’est toujours à eux qu’il pensait lorsqu’il
était exigeant avec ses collaborateurs (puisque c’est un péché aujourd’hui que
de dire second), parce qu'il ne voulait pas que les gros salaires se laissent
vivre pendant que les petits se fatiguent à casser du caillou. »
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… il ne voulait pas que les gros
salaires se laissent vivre pendant que les petits se fatiguent à casser du
caillou… |
Mais il y aussi les autres, ceux qui resteront toujours au bord du
chemin, quoi qu’on fasse. Une fois le maximum entrepris pour les entraîner
faut-il ralentir la marche des choses uniquement pour eux ? Sachant des
deux cotés de la table qu’il n’en sortira rien, faut t’il s’épuiser
hypocritement à discuter de tout et de rien pour le principe ? Lubrifier les
relations est indispensable, mais sans excès, sinon on fabrique une planche
savonneuse sur laquelle plus personne ne peut trouver son équilibre. A la fin
des fins, « on ne discute plus avec les brouettes, on les pousse ».
Dans leur grande sagesse, qui reste source d’inspiration pour moi, les hommes
du désert africain disent de la même façon : « On ne donne pas des
coups de pied au cul du bourriquot qui passe à coté du puits sans aller boire
… ».
Quoi que puissent en penser les donneurs de leçons professionnels
de tout acabit, le « risque zéro » ou le trop fameux « principe
de précaution » sont des utopies stérilisantes. Il faut avoir la ressource
morale d’avancer sans ceux qui refusent de faire l’effort minimum de s’adapter
aux nécessaires évolutions des pratiques et qui, sans en avoir les moindres,
rejettent par principe et idéologie égalitariste la vision et l’ambition des
autres.
Ce n’est pas mépriser les gens que d’avoir cette façon de penser et
de la mettre en pratique, à condition d’être toujours sans certitudes ni à
priori au moment de la réflexion et de prendre ensuite une décision qui vous
engage ; c’est au contraire s’intéresser au plus grand nombre, en
encourageant les efforts et valorisant les mérites individuels.
Mais est-ce vraiment encore possible de prétendre à ces
valeurs ? Non, puisque le seul mot de « valeur » provoque de nos
jours une urticaire contagieuse chez tous ceux qui ne sont pourtant plus que
les champions des « fausses valeurs ». La direction de l’entreprise est devenue une
énorme boursouflure molle, une gigantesque matrice sans contrôle et le résultat
est inéluctable : Comme il existe « un plus grand dénominateur commun »
en arithmétique, le système ne peut qu’enfanter « la plus petite
médiocrité tolérable » afin que chacun puisse y trouver sans effort cette
fameuse dose de fluidité à laquelle il semble aspirer ! Pourtant, le souci de
« l’Homme » dans l’entreprise n’est plus que ce qu’on lit dans ces
brochures en papier glacé, sans cesse renouvelées pour chaque nouveau et
coûteux programme de « motivation » ou de « développement
personnel », aux noms mélodieusement creux, frisant souvent le sectarisme,
distillés par ces nouveaux gourous qui sévissent dans les tentaculaires
Direction des Ressources Humaines, sous la tutelle de ces nouvelles et
lucratives officines de « coaching » sorties de nulle part.
Une fois démontée la mécanique, analysés les enjeux et les résultats
de ces programmes collectifs, sachons voir que la gestion individuelle de
l’homme dans ces directions a dérivé depuis longtemps et dramatiquement vers
« le coté obscur de la force » !!!. Et que ceux qui ne
connaissent pas « Star Wars » achètent les D.V.D. ! Ce n’est pas
un péché de s’adonner à un minimum de culture populaire…
Il fut une époque éloignée, et que j’ai à peine connue, où seule la
compétence technique déterminait les carrières. C’était bien sûr insuffisant,
car une certaine ignorance du facteur humain pouvait engendrer le manque
d’implication des salariés, pas assez respectés et écoutés, ce qui réduisait la
portée de ce professionnalisme.
« Vous pouvez foutre en l’air tout le
matériel que vous voulez, mais ne touchez pas à mes bonhommes, … sinon vous
aurez affaire à moi ! », m’a dit en guise de bienvenue mon premier
directeur. C’était un vrai professionnel qui connaissait son boulot sur le bout
des ongles, y compris celui de gérer les hommes, à une époque où l’idée même de
créer une direction des « ressources humaines » aurait été incongrue.
J’avais vingt-cinq ans et on me confiait une vingtaine d’agents de maîtrise,
deux cent ouvriers mineurs et une production respectable à assurer. J’ai pris
des baffes, mais je les méritais. Et j’ai pris des baffes méritées jusqu’à ce
que je ne le mérite plus. Mais chaque jour aussi, j’avais des comptes à rendre,
et bien souvent ce bon directeur s’emportait : « Je ne vous ai pas
demandé ce que vous avez FAIT, je veux savoir ce que vous avez APPRIS ! ».
Cela signifie qu’il y a trente ans, il ne suffisait déjà plus de
posséder la technique de fond en comble : Il fallait aussi devenir un chef
qui serait reconnu et qui permettrait à l’ensemble de son personnel de donner
le meilleur de lui même, par le respect qu’on lui témoignait et par la volonté
de l’impliquer dans la recherche des solutions. On savait bien que la
motivation des troupes était le seul relais de ses propres ambitions. Mais à
cette époque l’autorité était encore respectée et respectable.
Après quelques années d’un indispensable tutorat au jour le jour,
astreignant mais valorisant, donc parfaitement accepté, le maestro avait
façonné son disciple à son image, sans que celui-ci trouve quelque chose à y
redire, tout heureux de l’aubaine, sachant qu’un jour sans doute, il pourrait
ainsi voler de ses propres ailes et sans que l’idée de brûler la moindre étape
ne se soit présentée à lui !
Les gens de ma génération n’ont peut être pas ressenti à temps la
dérive progressive de ces anciennes valeurs. Ils ne peuvent que constater
l’état des lieux d’aujourd’hui. On va payer cher cette utopie des années 1980
qui voudrait que l’Elève vaille immédiatement le Maître, et que celui-ci, parce
que le monde a changé, ne sait forcément plus rien…
J’ai entendu dans ma jeunesse le Président de la France dire :
« Français, Françaises, aidez moi ! ». Le jeune ingénieur
maladroit que j’étais a eu bien besoin des vieux grognards qui l’entouraient
pour devenir digne d’être écouté. J’ai entendu plus tard un Président doté
d’une l’intelligence si brillante qu’il a fini par en être irradié proclamer à
chaque apparition : « Français, Françaises, je vais vous
aidez ! ». Et pour finir j’ai eu à subir de jeunes garnements
omniscients de naissance, aussi intelligents et diplômés que ce Président. Ils
ne commençaient à frétiller que, lorsqu’en jouant des coudes sans vergogne, ils
pouvaient se rapprocher à dix mètres de leur P.D.G., lors de la cérémonie
annuelle des vœux que celui-ci présentait traditionnellement à la multitude des
ingénieurs et cadres accourus de toute la France à grands frais, pour
simplement engloutir deux coupes de champagne et cinq petits fours.
Le J.T.H.P. (Jeune à Très Haut Potentiel dans le langage codé
des D.R.H.) :
- T’as rien pigé, viens dans mon bureau,
je vais t’expliquer…
Le V.S. (Vieux Sachant, ou vieux c… pour le J.T.H.P.)
- Merci, je crois avoir compris,
pourriez vous m’accompagner sur les chantiers pour parler de vos idées avec les
hommes du terrain ?
Silence accablant. On en reste là. L’un n’a bien sûr rien compris
puisqu’on lui dit ! Mais l’autre n’a évidemment rien appris. Quel
gâchis !
Il y a encore quelques années il fallait encore plaire pour faire
carrière. Et pour plaire, encore fallait-il démontrer un minimum de
connaissances professionnelles dans la spécialité pour laquelle on avait été
préparé. C’était déjà bien triste, mais c’était encore un moindre mal. C’est
une grande misère aujourd’hui que de constater comment les choses se passent.
Pour accéder aux organes de décisions il faut d’abord ressembler un tant soit
peu à tous ces clones produits à la chaîne par des établissements spécialisés
qui n’osent même plus citer les métiers auxquels ils se préparent puisqu’ils ne
savent même plus ce qu’est « le métier ». Il faut aussi essayer de
montrer à ses patrons qu’on est le meilleur en ne le montrant pas, car ce
faisant on démontrerait que les autres ne le sont pas, ce qu’ils ne
pardonneraient pas s’ils devenaient eux mêmes patrons ! En conclusion, il
ne suffit plus que de ne point déplaire ! … Pour ne pas se tromper de
cible, il ne faut même plus prendre le risque de courtiser, il suffit de savoir
se taire et d’attendre !
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…la vérité
n’est plus sur le terrain, elle sort du vidéoprojecteur. Les couleurs et
l’élégance des graphiques priment sur le contenu… (document
réel) |
Des extra-terrestres récemment nés, ayatollahs qui s’ignorent,
devenus par hasard et par effet de mode gourous de la
« Performance », ont totalement supplanté les
« Professionnels », ceux qui avaient la connaissance du métier et des
hommes qui savent l’exercer. Les seules compétences requises aujourd’hui sont
de manier correctement son micro-ordinateur portable pour produire une diarrhée
de diapositives. C’est la génération « PowerPoint » ! La
vérité n’est plus sur le terrain, elle sort du vidéoprojecteur. Les couleurs et
l’élégance des graphiques priment sur le contenu. En quelques mois, les années
d’efforts faits par ceux qui n’avaient d’autre but que d’écouter, mobiliser, et
valoriser leurs collaborateurs sont d’abord stérilisées puis définitivement
anéanties. C’est l’époque de l’ I.S.M. : l’« Indicateur Synthétique
Miracle » règne partout en maître. Il ne permet pas de savoir ce que l’on
a produit, avec qui, comment et à quel coût, mais on s’en moque !
« L’indicateur me dit que vous êtes sous vos objectifs, bandes
d’incapables, heureusement que je veille avec mon tableau de
bord ! ». Et ne me cassez plus pied avec « le métier », on
trouvera bien des consultants extérieurs pour régler les problèmes
techniques !
J’ai fabriqué et utilisé des tableaux de bords et des indicateurs
dans ma longue et riche carrière d’opérationnel. Mais à cette époque, les
tableaux de bords et les indicateurs ne sortaient pas bêtement des computers
mis sous la coupe d’une armée de fonctionnels n’ayant jamais enfilé une paire
de bottes et posé un casque sur leur tête, trop bien faite d’ailleurs pour
supporter un tel accessoire. Les exploitants construisaient et faisaient vivre
leur propre système d’analyse des résultats, simple, pragmatique et
compréhensible pour tous. La performance était naturellement intégrée à leur
fonction, comme la sécurité, la gestion des hommes et tous les autres aspect de
la vie de l’entreprise, secteurs confiés aujourd’hui à une multitude de
services fonctionnels spécialisés totalement déconnectés du terrain et de sa
réalité. La matrice, la matrice, vive l’organisation matricielle !!!
Comme Monsieur Jourdain, les exploitants
faisaient de la « prose » sans le savoir, avec un papier, un crayon,
une gomme, et une machine à calculer à manivelle. Ils savaient exactement de
quels chiffres ils devaient disposer pour vérifier que les efforts personnels
qu’ils avaient soutenus ou que les mesures qu’ils avaient prises sur le
terrain, avec le concours de leurs seconds et en profitant de l’expérience de
leurs chefs, avaient atteint leurs objectifs. Ils remédiaient préventivement
aux possibles dysfonctionnements pouvant survenir, parce qu’une longue pratique
de leur art suffisait à les repérer. On n’attendait pas l’analyse de tableaux
de chiffres et de graphiques plus abstraits les uns que les autres, distillés
par une armée de technocrates pointilleux, pour se rendre compte qu’on allait
dans le mur ou qu’on l’avait déjà défoncé.
Tout faux ! Tout à l’envers !
Pour reconstruire à Tchernobyl il faudra de longues années de
décontamination. Même si nous œuvrons rapidement pour tenter de remettre nos
entreprises dans la bonne voie, pendant longtemps leurs résultas ne seront que
le fruit de ce qui a été semé sans réflexion et sans contrôle par des apprentis
sorciers irresponsables, bourrés de certitudes et pervertis par des fausses
valeurs.
Assurément, il faut réagir, mais il est
déjà bien tard. Attention, les gourous et leurs coachs se reproduisent comme
des amibes et obstruent tous les couloirs qui mènent au sommet, vers ceux qui
feraient bien de ne plus toujours les écouter !
Je me demande aujourd’hui avec inquiétude s’il existe encore une
petite réserve d’hommes de caractère, ces Vieux Sachants d’un autre temps,
performants parce que connaissant le métier, appréciés et écoutés de leurs
troupes. Celles-ci savent bien finalement que la compétence et le savoir faire
faire des chefs sont plus importants que leur fluidité relationnelle et se moquent
comme de l’an quarante des sourires convenus et de la pommade qu’on peut leur
passer. Comme j’ai dit un jour à Machin, propos évidemment non lubrifiés :
« Il y a ceux qui aiment les carrières et ceux qui font
carrière… ! » Mais Machin sait-il au moins ce qu’est une carrière et
ce qu’aimer veut dire ?
2004 et 2008
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Complément indispensable
à ce petit texte, lisez :
« Les
Aventures de J et JJ – Carriers de terroir incrédules »,
petite bande
dessinée iconoclaste...
Pour plus de
détails, voir :
« Mines
de fer de Lorraine – Monographie de la Mine de Mairy »
4 schémas expliquant la
fabrication des granulats Cliquez
sur les images pour les animer |
|
Terrassements pour
atteindre le gisement |
Foration – Minage - Tir |
Transport du tout-venant Concassage primaire |
Concassage secondaire Criblage des produits
finis |